« On te paiera en visibilité » : Le piège dans lequel on est tous tombés (et comment en sortir)
- Adrien

- il y a 5 jours
- 4 min de lecture
La semaine dernière, nous parlions du paradoxe des budgets serrés au Québec pour la photographie d'événement. Aujourd'hui, regardons la situation de l'intérieur, du point de vue de l'artiste derrière l'objectif.
C’est le rite de passage de tout photographe. Vous recevez ce courriel ou ce message Instagram d'une marque, d'un influenceur ou d'un organisateur d'événement. Ils adorent votre style, ils veulent absolument travailler avec vous, mais… ils n'ont "pas de budget pour le moment".
En échange ? Ils vous promettent de la visibilité. Ils vont vous taguer. Ils ont 10 000 abonnés. C'est une "opportunité en or" pour votre portfolio.
Je vais être honnête : je l'ai fait. Nous l'avons tous fait au début. L'excitation d'être sollicité l'emporte souvent sur la logique économique. On se dit qu'il faut bien commencer quelque part. Mais aujourd'hui, avec le recul, voici un conseil d'ami pour la survie de votre métier : ne le faites plus.
Voici pourquoi la "visibilité" est la pire monnaie d'échange dans notre industrie.

1. La Visibilité ne paie pas l'épicerie
C’est l’argument le plus évident, mais on l’oublie souvent.
Votre boîtier, vos objectifs, vos cartes SD, vos disques durs, votre abonnement Adobe et votre assurance coûtent de l'argent.
Votre temps de post-traitement n'est pas gratuit.
Votre expertise n'est pas gratuite.
Essayez d'aller voir votre propriétaire ou la caissière de l'épicerie et dites-leur : « Je ne peux pas payer en argent aujourd'hui, mais je vais parler de votre excellent service à mes amis ». Ça ne marchera pas. Pourquoi accepteriez-vous cela pour votre propre travail ?

2. Vous tuez le marché (pour vous et pour les autres)
C’est le point le plus dommageable pour l'industrie. Lorsque vous acceptez de travailler gratuitement pour une entité qui a un but commercial (une marque, un festival, une entreprise), vous envoyez un message clair au marché : « La photographie n'a pas de valeur financière. »
Si vous le faites gratuitement, pourquoi paieraient-ils le prochain photographe ?
Pire encore, le jour où vous demanderez à être payé par ce même client, il refusera. Pourquoi ? Parce que dans son esprit, vous êtes "le photographe gratuit". Il ira simplement chercher le prochain débutant prêt à se faire avoir.
En acceptant la visibilité comme paiement, nous éduquons le client à ne pas respecter notre profession.
3. L'Exposition promise est souvent un mythe
Soyons réalistes. Un "tag" sur une story Instagram qui dure 24 heures ne lance pas une carrière. La conversion entre une simple mention sur les réseaux sociaux et un contrat payant signé n'existe pas
Les clients qui ont du budget cherchent des professionnels, pas des gens qui travaillent pour des "likes".
La visibilité qui rapporte vraiment, c'est celle qui vient de la réputation d'être un professionnel fiable qui connaît sa valeur. Cette réputation se construit par la qualité de vos livrables payants, et non par la quantité de tags reçus.
La seule exception : Le projet personnel
Attention, je ne dis pas qu'il ne faut jamais déclencher sans facture. Il y a une différence majeure entre travailler gratuitement pour quelqu'un d'autre et travailler pour soi.
Le « Test » (ou collaboration) : Vous avez une idée créative ? Vous trouvez un modèle, une maquilleuse, et tout le monde offre son temps pour créer des images qui serviront au portfolio de chacun. C'est équitable. Tout le monde y gagne.
Le Bénévolat choisi : Vous voulez aider un organisme de charité ou une cause qui vous tient à cœur ? C'est noble. Mais c'est un don de votre part, pas une exigence de leur part. Ces projets doivent être l'exception, pas la règle.
Arrêtons de blâmer l'organisateur. Blâmons-nous.
Encore aujourd'hui, je vois beaucoup trop d'organisateurs ou de marques qui recherchent ouvertement ce genre d'échange. Mais peut-on réellement les blâmer ? Si un client peut obtenir un service de qualité gratuitement, il serait naïf de penser qu'il ne le fera pas.
Je pense que les premiers à blâmer, ce sont nous, les photographes. En acceptant ces conditions, nous leur donnons la permission de dévaloriser notre art. Nous avons le pouvoir de changer la norme, mais cela exige une solidarité et une fermeté collectives.
Chaque « oui » gratuit mine l'industrie, tandis que chaque « non » professionnel la fortifie.
Conclusion : Osez dire Non

La prochaine fois qu'on vous propose de la visibilité, rappelez-vous que votre œil, votre technique et votre temps sont des ressources rares et précieuses.
Votre réponse professionnelle pourrait être : « Je comprends que le budget est serré, mais mon tarif minimum couvre mes frais d'opération. Si l'exposition est si précieuse pour vous, je serais ravi d'en discuter la valeur monétaire dans le cadre d'un échange équitable. »
Vous perdrez peut-être ce "client", mais vous gagnerez quelque chose de bien plus précieux : le respect de votre métier. C'est le seul capital qui vous permettra de payer, à terme, votre propre loyer et votre propre épicerie.




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